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26 février 2009 4 26 /02 /février /2009 20:26

L'Individu, Réflexions sur la philosophie du sujet, Alain Renaut, compte rendu de lecture

INTRODUCTION

Alain Renaut commence son ouvrage par un rappel de la longue histoire de la notion d’individu. Il retient deux exemples de cette histoire :
1. Dans l’Antiquité, Cicéron a donné le nom latin d’individuum aux corpuscules insécables qui composent dans la théorie de Démocrite et des épicuriens tous les corps qui constituent l’univers.
2. Au Moyen Age, cette notion a joué un grand rôle dans la querelle des universaux : pour Guillaume d’Occam notamment, il n’existe que des individus et l’universel n’a qu’une existence purement sémiotique et verbale.

Cependant il faut attendre la période moderne pour que la notion prenne tout son importance : seule la conception moderne du monde permet une pleine valorisation de l’individu. « (…) Sous bien des rapports, c’est à travers l’affirmation de l’individu comme principe et comme valeur (si l’on veut : l’individualisme) que le dispositif culturel, intellectuel et philosophique de la modernité se peut à la fois se caractériser dans sa plus certaine originalité et interroger dans quelques-unes de ses plus redoutables énigmes ». La raison essentielle en est l’appréhension spécifique de la liberté qui a émergé à la Renaissance et s’est développée avec le cartésianisme.

1. L’auteur par de l’idée qu’avec la modernité se met en place une nouvelle conception de la liberté. Hegel par exemple souligne bien la différence de nature entre la liberté des anciens et celle des modernes. Certes certains citoyens possédaient une réelle liberté : cette dernière se définissait de façon purement juridique. Mais « l’infinie exigence de la subjectivité, de l’autonomie de l’esprit en soi était inconnue aux Athéniens ». Dans le même sens, Heidegger estime que les modernes accèdent à une « nouvelle liberté » qui s’inscrit dans le « déploiement de l’Être en tant que subjectivité » et est liée à la « législation autonome de l’humanité ». « Dans la nouvelle liberté, l’humanité se veut assurée du déploiement autonome de toutes ses facultés pour exercer sa domination sur la Terre entière. »

Cette mise en relation et la prétention à une liberté conçue en terme d’autonomie sera interrogée de 2 façons :
- dans quelle mesure s’agit-il ici d’une « nouvelle liberté » qui engagerait une autre représentation de l’homme? Quelle facture s’est réalisée avec la conception précédente?
-est-il pertinent d’identifier l’autonomie à la « liberté des Modernes« ?

2. Naissance de l’humanisme et exigence d’autonomie

L’origine du terme d’autonomie est grecque. On le trouve chez Démocrite, Plutarque Sophocle Isocrate. Hérodote, Xénophon et Démosthène vont même jusqu’à confondre le terme de liberté (eleuthéria) et celui d’autonomie pour désigner la situation d’une cité qui ne serait pas soumise à une domination extérieure. Est-ce cependant suffisant pour contester la thèse classique selon laquelle est libre celui qui est doté des prérogatives du citoyen?
Certains au contraire ont pu concevoir que l’idée grecque d’autonomie s’appliquait non seulement à le cité mais aussi à des personnes, si bien que la problématique de la liberté de l’individu serait contenu dans la conception antique de la liberté politique. La logique interne de la culture grecque conduirait ainsi à la réalisation du processus démocratique. Il es facile de céder à la tentation de cette orientation continuiste lorsque l’on identifie « la manière dont les cités grecques ne cessaient de « remettre en question leur institution » et de « modifier les règles » de la vie en commun à l’ »émergence de l’autonomie »(Castoriadis, Débat, jv-mars 86) .» La question consiste là savoir s’il est question d’une redécouverte du sens authentique de la notion de liberté ou s’il s’agit simplement d’une illusion rétrospective. La tentative de l’auteur sera de « souligner dans quelle mesure les conditions précises exigées par la valorisation moderne de l’autonomie étaient encore fort loin d’être toutes remplies dans le cadre de la culture et de la philosophie grecques ».
L’auteur souligne d’abord le présupposé de la conception et de la valorisation de l’humanité comme « capacité d’autonomie, qui vont être constitutives de l’humanisme moderne et conduire (…) à l’affirmation de l’individu comme principe. La modernité se définit intrinsèquement par la manière dont l’homme se constitue comme « source de ses représentations et de ses actes, comme leur fondement (subjectum, sujet) ou encore comme leur auteur ». Ce n’est plus une instance extérieure (Dieu, nature des choses) qui impose ses normes à l’homme moderne qui au contraire fonde cer dernières à partir de sa raison et de sa volonté.
Par conséquent :
-le droit naturel moderne n’est plus de nature objective(trouvé dans un ordre immanent ou transcendant du monde) mais subjective(posé et défini par la raison ou volonté humaine)
-les sociétés modernes se trouvent auto-instituées et recourent pour ce faire au schéma contractualise. « l’homme n’a d’autre législateur que lui-même » Sartre.
Or la compréhension de la liberté comme autonomie n’est pas concevable dans le contexte qui a permis aux Grecs d’appréhender leur liberté : « le droit que possède les citoyens (…) d’exercer collectivement une part de la souveraineté se fonde en effet ici, non dans la reconnaissance du principe d’autonomie (…), mais dans l’organisation finalisée d’une nature au sein de laquelle « certains sont faits pour commander et d’autres pour obéir » »cf Aristote. Ce n’est donc pas la volonté humaine qui fonde la souveraineté. La volonté n’est jamais conçue comme capable de s’auto-déterminer.
Qui plus est, pour que le pouvoir de choix de la liberté des Modernes trouve une signification, il faut la concevoir dans le cadre d’un monde contingent ou même dans celui d’in monde en désordre. Or la cosmologie grecque se place dans un monde (« cosmo s ») régi par un ordre intangible. P. Aubenque : « la liberté de l’homme n’a pas partie liée à la contingence, mais au contraire elle s’y oppose »( La Prudence chez Aristote). Aristote compare en effet les hommes libres à des astres parce qu’ils n’agissent jamais au hasard et que leurs actions sont réglés. Par opposition, les actions des esclaves « sont rarement ordonnées au bien de l’ensemble, mais sont le plus souvent laissés au hasard. En d’autres termes, « ce sont les esclaves qui sont libres au sens moderne du terme, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font, alors que la liberté de l’homme grecque et sa perfection se mesurent à la détermination plus ou moins grande de ses actions (Aubenque) ».
On voit donc clairement que la liberté grecque ne se conçoit pas selon le principe de l'autonomie mais bien au contraire selon celui de l'hétéronomie : quand bien même l'homme serait capable de créer un ordre nouveau, il faudrait que cette nouveauté puisse s'inscrire dans le cadre d'un monde appréhendé sous le mode d'un cosmos aux règles intangibles.

3. Autonomie et subjectivité (1° forme d'homogénéisation de la modernité)

Heidegger inscrit sous l'exigence d'autonomie le déroulement de la modernité : la philosophie moderne constitue pour lui une « métaphysique de la subjectivité qui s'est déployée en 4 étapes.

1. Descartes fait apparaître l'idée que la nature n'obéit pas à des forces obscures et invisibles, qu'elle est constituée d'une matière neutre, « maîtrisable par la raison (tout est susceptible d'être connu) et par la volonté (la totalité du réel est utilisable par l'homme visant la réalisation de ses propres fins) ». Cette vision anthropocentrique du monde constituerait l'essence de l'humanisme « pour laquelle tout devient moyen en vue de l'accomplissement de l'homme ».

3. Les Lumières réalisent une rupture avec l'idée cartésienne d'une physique a priori et impose à la rationalité scientifique une reconnaissance de ses limites, mais « la science continue d'apparaître comme un instrument neutre, mis au service des fins qui la dépassent et à partir desquels elle trouve sa valeur, qu'il s'agisse de l'émancipation ou du bonheur de l'humanité ».

4. Kant, à partir de la critique des morales du bonheur, effectue un virage décisif : la volonté morale se définit alors comme pure autonomie; à la fois agent et principe de la moralité,  elle se constitue comme objet d'elle-même et ne veut rien d'autre qu'elle-même. c'est elle qui pose la loi à laquelle elle accepte de se soumettre.

5. Nietzsche va alors radicaliser cette position en posant  la "volonté de puissance" par laquelle la volonté se veut elle-même. "le devenir-monde de cette figure ultime de l'humanisme moderne, par quoi s'achève le destin de l'idée d'autonomie, serait ainsi la technique, ou, si l'on préfère, cette raison purement instrumentale qui ne pose plus la question des fins et fait de la volonté (ou de la puissance) une fin en soi."

  « Le sens d'une telle déconstruction est limpide : la raison de Descartes et des Lumières n'aurait fait que conduire logiquement, par un mouvement de radicalisation, à cette volonté de la volonté où l'affirmation de l'homme comme sujet (fondement) trouverait son plus parfait accomplissement ; en ce sens, l'explication kantienne du principe d'autonomie ne ferait que s'inscrire au sein d'un unique et fatal parcours, s'achevant par l'essor triomphal d'une technoscience préoccupé exclusivement du renforcement continuel de son pouvoir, quel qu'en soi le prix. Force serait alors de convenir que c'est l'essence même du moderne, telle que l'exprime la vocationdu sujet à l'autonomie, qui se trouverait en jeu jusque dans les formes les plus aberrantes de la technicisation du monde : loin que l'on puisse dans ces conditions jouer une figure de la modernité contre une autre, tout conduirait bien plutôt au sacrifice global de la modernité et de ses valeurs, à commencer par celui de cette valeur de l'autonomie qui en exprime le mieux l'essence ».



4. Le paradigme individualiste (2° forme d'homogénéisation de la modernité)

La logique de la modernité a été interprétée de 2 façons :

  • comme une aliénation de l'individu à l'égard du collectif et du mode de production capitaliste

  • comme une émancipation de l'individu « vis-a-vis du poids des traditions et des hiérarchies naturelles »

La 1° interprétation s'est effondrée avec l'idéologie communiste. La seconde consiste à interpréter « l'histoire de la modernité, non plus à partir du développement du mode de production capitaliste, mais selon une dynamique d'émancipation de l'individu vis-à-vis du pods des traditions et des hiérarchies naturelles ». Cette interprétation consiste à « opposer aux sociétés traditionnelles celles où l'individu n'entend plus être soumis à nul autre que lui-même ».

La seconde a les faveur du présent. Cependant l'auteur reste méfiant à son égard : « il ma faut avouer que n'a cessé de croître en moi (…) l'inquiétude que [le paradigme individualiste] ne pût contribuer (…) à produire un nouvel aveuglement sur la complexité du moderne ». En effet, les analyses les plus récentes qui privilégient cette interprétation ont tendance à confondre les notios d'autonomie et d'indépendance, d'un côté, et celles de sujet et d'individu de l'autre. Ces différenciations ont certes une portée philosophique, mais elles ont surtout une portée pratique et politique. « Il [faut] reposer la question de savoir ce qu'il peut et doit en être d'une culture authentiquement démocratique (moderne). » Il s'agit ici de déterminer les principes et les valeurs d'une culture de ce type: comment le rapport de l'homme avec lui-même peut être producteur de normes et de lois?

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commentaires

D
Bonjour,<br /> Voulez-vous faire partie de cette communauté de philosophie, versant académique et technique ?<br /> http://www.over-blog.com/com-1081185046/Philosophie_academique.html <br /> Bien à vous,<br /> jfetb chez orange.fr<br /> DéfiTexte : le défi des textes et des commentaires.defitexte.over-blog.fr
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