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L'Individu, Réflexions sur la philosophie du sujet, Alain Renaut, compte rendu de lecture (en construction)

INTRODUCTION

Alain Renaut commence son ouvrage par un rappel de la longue histoire de la notion d’individu. Il retient deux exemples de cette histoire :
1. Dans l’Antiquité, Cicéron a donné le nom latin d’individuum aux corpuscules insécables qui composent dans la théorie de Démocrite et des épicuriens tous les corps qui constituent l’univers.
2. Au Moyen Age, cette notion a joué un grand rôle dans la querelle des universaux : pour Guillaume d’Occam notamment, il n’existe que des individus et l’universel n’a qu’une existence purement sémiotique et verbale.

Cependant il faut attendre la période moderne pour que la notion prenne tout son importance : seule la conception moderne du monde permet une pleine valorisation de l’individu. « (…) Sous bien des rapports, c’est à travers l’affirmation de l’individu comme principe et comme valeur (si l’on veut : l’individualisme) que le dispositif culturel, intellectuel et philosophique de la modernité se peut à la fois se caractériser dans sa plus certaine originalité et interroger dans quelques-unes de ses plus redoutables énigmes ». La raison essentielle en est l’appréhension spécifique de la liberté qui a émergé à la Renaissance et s’est développée avec le cartésianisme.

1. L’auteur par de l’idée qu’avec la modernité se met en place une nouvelle conception de la liberté. Hegel par exemple souligne bien la différence de nature entre la liberté des anciens et celle des modernes. Certes certains citoyens possédaient une réelle liberté : cette dernière se définissait de façon purement juridique. Mais « l’infinie exigence de la subjectivité, de l’autonomie de l’esprit en soi était inconnue aux Athéniens ». Dans le même sens, Heidegger estime que les modernes accèdent à une « nouvelle liberté » qui s’inscrit dans le « déploiement de l’Être en tant que subjectivité » et est liée à la « législation autonome de l’humanité ». « Dans la nouvelle liberté, l’humanité se veut assurée du déploiement autonome de toutes ses facultés pour exercer sa domination sur la Terre entière. »

Cette mise en relation et la prétention à une liberté conçue en terme d’autonomie sera interrogée de 2 façons :
- dans quelle mesure s’agit-il ici d’une « nouvelle liberté » qui engagerait une autre représentation de l’homme? Quelle facture s’est réalisée avec la conception précédente?
-est-il pertinent d’identifier l’autonomie à la « liberté des Modernes« ?

2. Naissance de l’humanisme et exigence d’autonomie

L’origine du terme d’autonomie est grecque. On le trouve chez Démocrite, Plutarque Sophocle Isocrate. Hérodote, Xénophon et Démosthène vont même jusqu’à confondre le terme de liberté (eleuthéria) et celui d’autonomie pour désigner la situation d’une cité qui ne serait pas soumise à une domination extérieure. Est-ce cependant suffisant pour contester la thèse classique selon laquelle est libre celui qui est doté des prérogatives du citoyen?
Certains au contraire ont pu concevoir que l’idée grecque d’autonomie s’appliquait non seulement à le cité mais aussi à des personnes, si bien que la problématique de la liberté de l’individu serait contenu dans la conception antique de la liberté politique. La logique interne de la culture grecque conduirait ainsi à la réalisation du processus démocratique. Il es facile de céder à la tentation de cette orientation continuiste lorsque l’on identifie « la manière dont les cités grecques ne cessaient de « remettre en question leur institution » et de « modifier les règles » de la vie en commun à l’ »émergence de l’autonomie »(Castoriadis, Débat, jv-mars 86) .» La question consiste là savoir s’il est question d’une redécouverte du sens authentique de la notion de liberté ou s’il s’agit simplement d’une illusion rétrospective. La tentative de l’auteur sera de « souligner dans quelle mesure les conditions précises exigées par la valorisation moderne de l’autonomie étaient encore fort loin d’être toutes remplies dans le cadre de la culture et de la philosophie grecques ».
L’auteur souligne d’abord le présupposé de la conception et de la valorisation de l’humanité comme « capacité d’autonomie, qui vont être constitutives de l’humanisme moderne et conduire (…) à l’affirmation de l’individu comme principe. La modernité se définit intrinsèquement par la manière dont l’homme se constitue comme « source de ses représentations et de ses actes, comme leur fondement (subjectum, sujet) ou encore comme leur auteur ». Ce n’est plus une instance extérieure (Dieu, nature des choses) qui impose ses normes à l’homme moderne qui au contraire fonde cer dernières à partir de sa raison et de sa volonté.
Par conséquent :
-le droit naturel moderne n’est plus de nature objective(trouvé dans un ordre immanent ou transcendant du monde) mais subjective(posé et défini par la raison ou volonté humaine)
-les sociétés modernes se trouvent auto-instituées et recourent pour ce faire au schéma contractualise. « l’homme n’a d’autre législateur que lui-même » Sartre.
Or la compréhension de la liberté comme autonomie n’est pas concevable dans le contexte qui a permis aux Grecs d’appréhender leur liberté : « le droit que possède les citoyens (…) d’exercer collectivement une part de la souveraineté se fonde en effet ici, non dans la reconnaissance du principe d’autonomie (…), mais dans l’organisation finalisée d’une nature au sein de laquelle « certains sont faits pour commander et d’autres pour obéir » »cf Aristote. Ce n’est donc pas la volonté humaine qui fonde la souveraineté. La volonté n’est jamais conçue comme capable de s’auto-déterminer.
Qui plus est, pour que le pouvoir de choix de la liberté des Modernes trouve une signification, il faut la concevoir dans le cadre d’un monde contingent ou même dans celui d’in monde en désordre. Or la cosmologie grecque se place dans un monde (« cosmo s ») régi par un ordre intangible. P. Aubenque : « la liberté de l’homme n’a pas partie liée à la contingence, mais au contraire elle s’y oppose »( La Prudence chez Aristote). Aristote compare en effet les hommes libres à des astres parce qu’ils n’agissent jamais au hasard et que leurs actions sont réglés. Par opposition, les actions des esclaves « sont rarement ordonnées au bien de l’ensemble, mais sont le plus souvent laissés au hasard. En d’autres termes, « ce sont les esclaves qui sont libres au sens moderne du terme, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font, alors que la liberté de l’homme grecque et sa perfection se mesurent à la détermination plus ou moins grande de ses actions (Aubenque) ».
On voit donc clairement que la liberté grecque ne se conçoit pas selon le principe de l'autonomie mais bien au contraire selon celui de l'hétéronomie : quand bien même l'homme serait capable de créer un ordre nouveau, il faudrait que cette nouveauté puisse s'inscrire dans le cadre d'un monde appréhendé sous le mode d'un cosmos aux règles intangibles.

3. Autonomie et subjectivité (1° forme d'homogénéisation de la modernité)

Heidegger inscrit sous l'exigence d'autonomie le déroulement de la modernité : la philosophie moderne constitue pour lui une « métaphysique de la subjectivité qui s'est déployée en 4 étapes.

1. Descartes fait apparaître l'idée que la nature n'obéit pas à des forces obscures et invisibles, qu'elle est constituée d'une matière neutre, « maîtrisable par la raison (tout est susceptible d'être connu) et par la volonté (la totalité du réel est utilisable par l'homme visant la réalisation de ses propres fins) ». Cette vision anthropocentrique du monde constituerait l'essence de l'humanisme « pour laquelle tout devient moyen en vue de l'accomplissement de l'homme ».

3. Les Lumières réalisent une rupture avec l'idée cartésienne d'une physique a priori et impose à la rationalité scientifique une reconnaissance de ses limites, mais « la science continue d'apparaître comme un instrument neutre, mis au service des fins qui la dépassent et à partir desquels elle trouve sa valeur, qu'il s'agisse de l'émancipation ou du bonheur de l'humanité ».

4. Kant, à partir de la critique des morales du bonheur, effectue un virage décisif : la volonté morale se définit alors comme pure autonomie; à la fois agent et principe de la moralité,  elle se constitue comme objet d'elle-même et ne veut rien d'autre qu'elle-même. c'est elle qui pose la loi à laquelle elle accepte de se soumettre.

5. Nietzsche va alors radicaliser cette position en posant  la "volonté de puissance" par laquelle la volonté se veut elle-même. "le devenir-monde de cette figure ultime de l'humanisme moderne, par quoi s'achève le destin de l'idée d'autonomie, serait ainsi la technique, ou, si l'on préfère, cette raison purement instrumentale qui ne pose plus la question des fins et fait de la volonté (ou de la puissance) une fin en soi."

  « Le sens d'une telle déconstruction est limpide : la raison de Descartes et des Lumières n'aurait fait que conduire logiquement, par un mouvement de radicalisation, à cette volonté de la volonté où l'affirmation de l'homme comme sujet (fondement) trouverait son plus parfait accomplissement ; en ce sens, l'explication kantienne du principe d'autonomie ne ferait que s'inscrire au sein d'un unique et fatal parcours, s'achevant par l'essor triomphal d'une technoscience préoccupé exclusivement du renforcement continuel de son pouvoir, quel qu'en soi le prix. Force serait alors de convenir que c'est l'essence même du moderne, telle que l'exprime la vocationdu sujet à l'autonomie, qui se trouverait en jeu jusque dans les formes les plus aberrantes de la technicisation du monde : loin que l'on puisse dans ces conditions jouer une figure de la modernité contre une autre, tout conduirait bien plutôt au sacrifice global de la modernité et de ses valeurs, à commencer par celui de cette valeur de l'autonomie qui en exprime le mieux l'essence ».



4. Le paradigme individualiste (2° forme d'homogénéisation de la modernité)

La logique de la modernité a été interprétée de 2 façons :

  • comme une aliénation de l'individu à l'égard du collectif et du mode de production capitaliste

  • comme une émancipation de l'individu « vis-a-vis du poids des traditions et des hiérarchies naturelles »

La 1° interprétation s'est effondrée avec l'idéologie communiste. La seconde consiste à interpréter « l'histoire de la modernité, non plus à partir du développement du mode de production capitaliste, mais selon une dynamique d'émancipation de l'individu vis-à-vis du pods des traditions et des hiérarchies naturelles ». Cette interprétation consiste à « opposer aux sociétés traditionnelles celles où l'individu n'entend plus être soumis à nul autre que lui-même ».

La seconde a les faveur du présent. Cependant l'auteur reste méfiant à son égard : « il ma faut avouer que n'a cessé de croître en moi (…) l'inquiétude que [le paradigme individualiste] ne pût contribuer (…) à produire un nouvel aveuglement sur la complexité du moderne ». En effet, les analyses les plus récentes qui privilégient cette interprétation ont tendance à confondre les notios d'autonomie et d'indépendance, d'un côté, et celles de sujet et d'individu de l'autre. Ces différenciations ont certes une portée philosophique, mais elles ont surtout une portée pratique et politique. « Il [faut] reposer la question de savoir ce qu'il peut et doit en être d'une culture authentiquement démocratique (moderne). » Il s'agit ici de déterminer les principes et les valeurs d'une culture de ce type: comment le rapport de l'homme avec lui-même peut être producteur de normes et de lois?

  1. L’irruption de l’individu : la dynamique des sociétés démocratiques

    Alain Renaut estime que le chemin le plus court pour déterminer le prpre de la culture démocratique est de repartir de l’analyse tocquevillienne de la modernité. « Cette analyse (…) conduit à montrer comment la dynamique de la démocratisation se peut identifier de part en part à une affirmation de l’individu comme principe et comme valeur, affirmation qui définit ce que Tocqueville est l’un des premiers à nommer l’individualisme moderne», lequel se traduit par la révolte des individus contre la hiérarchie.

    1. Egalité contre hiérarchie
    Il y a ici une corrélation stricte entre l’individualisme avec le processus d’égalisation des conditions en quoi consiste pour Tocqueville la démocratie. Processus dont le symbole est la Déclaration des droits de l’homme et le point d’orgue, la nuit du 4 août 1789 où se virent abolis les privilèges, fondements d’une société d’ancien régime caractérisée par sa structure hiérarchique.
    L’analyse est d’autant plus pertinente et précieuse qu’elle permet de rendre compte de phénomènes historiques qui semblent aller à l’encontre de ce processus d’individualisation. Ainsi le socialisme et le communisme ont revendiqué une égalité réelle par opposition à une égalité purement juridique et formelle : cette critique de l’individualisme libéral est mu par la logique de l’individualisme moderne, marqué par le rejet de toute hiérarchie, même si elles sont ici nouvelles (créées par les inégalités sociales et économiques).

    2. Liberté contre tradition

    Une seconde composante de l’individualisme démocratique réside dans la tendance qu’a chaque individu à dénoncer la tradition au nom d’une certaine conception de la liberté.
    Les sociétés traditionnelles se caractérisent en effet par l’hétéronomie qui y règne : l’individu obéit à la tradition sans que ce dernier ne l’ait choisi et ne puisse la changer. « c’est sous la dépendance de cette tradition que se trouve constamment placée l’existence des personnes. » Or la Révolution constitue un ébranlement de cette conception : « héritée des théories du contrat social, elle consiste dans son principe à fonder la loi sur la volonté des hommes, et donc à la soustraire autant qu'il est possible à l'autorité des traditions. » En cela, elle manifeste la dynamique moderne de la démocratie et elle est l'effet de l'érosion progressive des contenus traditionnels de la société. Ici se trouve une des caractéristiques des sociétés modernes : l'affirmation de l'individualisme et le projet de l'individu de s'approprier les normes et de ne plus accepter de les recevoir conduisent à la dissolution continuelle des repères hérités du passé, ce qui engendre une « permanente révolution de ces repères ».

 

L'âge démocratique se caractérise par ces 2 thèmes de l'égalité contre la hiérarchie et de la liberté contre la tradition. « l'individu s'y affirme à la fois comme valeur et comme principe :

  • comme valeur, puisque dans la logique de l'égalité, un homme vaut un homme, ce pourquoi l'universalisation du droit de suffrage sera la traduction politique la plus complète d'une telle valeur;

  • comme principe, puisque dans la logique de la liberté, seul l'homme peut être lui-même source de ses normes et de ses lois, ce pourquoi, contre l'hétéronomie de la tradition, c'est sous le régime de l'autonomie que s'inscrira la normativité éthique, juridique et politique des Modernes ».

 

3. La culture comme problème

Le risque souligné par Tocqueville de la dynamique individualiste est l'atomisation du social : « ainsi la démocratie fait oublier à chacun ses aïeux, mais elle lui cache ses descendants et le sépare de ses contemporains; elle le ramène sans cesse vers lui seul et menace de le renfermer enfin tout entier dans la solitude de son propre coeur ».
En effet, le déploiement de la dynamique de l'égalité et de la liberté mine les principes (hiérarchie, tradition) du lien social ancien et conduit à une situation où l'individu se trouverait seul et sans résistance face à un « Etat tutélaire ». La question va alors porter sur ce qui pourra ralentir voire arrêter cette évolution : l'enjeu est en effet la possibilité même de la vie en société.

Le problème de la culture se pose précisément dans ce glissement du concept d'individualisme qui sert à expliquer le développement de l'égalisation démocratique des conditions à son utilisation comme catégorie critique du repli sur soi, sur la sphère privée, du culte du bonheur et de la consommation.



II. La querelle française de l’individualisme : néo-tocquevilliens vs néo-heideggeriens

L’auteur se propose de rendre compte des débats récents soulevés par l’affirmation de l’individu comme valeur et comme principe. Il faut pour cela commencer par isoler les thèses en présences.

- pour les uns, le fait que la culture soit dorénavant subordonnée à l’immanence du sujet, i.e. ne trouve plus de « support que l’individu lui-même, constitue un immense progrès. L’émancipation de l’i dans un domaine jusque là régi par le principe d’autorité (la culture) serait la marque du progrès « particulièrement significatif » des sociétés contemporaines.
Dynamique individualiste = un processus d’émancipation connaturel de la modernité.

- pour les autres, au contraire, cette « culture de l’immanence » n’est rien d’autre qu’un « abaissement » de l’idée de culture qui ne serait plus qu’une des nombreuses formes de la consommation. La sphère de la culture et celle de la consommation se trouveraient toutes deux régies par le principe de plaisir et d’utilité, ce qui reviendrait à nier la spécificité de la 1°.
Dynamique individualiste = pseudo-émancipation ayant pour effet la destruction des valeurs humanistes, d’où son assimilation à une nouvelle forme de barbarie.

Pour rendre compte de ce débat, l’auteur va analyser L’Empire de l’éphémère de G. Lipovetsky, « ouvrage autour duquel cet affrontement de positions a trouvé à se cristalliser. »

1. La culture de l'individu : Gilles Lipovetsky

L’Empire de l’éphémère a pour objet la mode entendue dans son sens le plus large : elle désigne tout comportement inessentiel mais aussi « tout ce qui peut devenir objet d'un engouement soudain et passager, de la production culturelle à la vie politique ». Le point commun de tous ces phénomènes est qu'ils se prêtent à la médiatisation, la mise en slogan, à la consommation rapide et au renouvellement incessant.

Curieux objet d'étude tant il est vrai que la mode « semble bien être le lieu même de l'irrationnel et du contingent, de l'arbitraire et du gratuit, le lieu par excellence des comportements irraisonnés », ce qui défie toute logique. Si la philosophie et la sociologie ont vocation à « penser la rationalité du réel » et à « dévoiler une logique du champ social », alors la mode se pose comme un défi à la pensée. « Comment penser la rationalité du réel, ou la logique du social, là même où l'objet semble le plus proche du « sans raison »? »

La nature de cet objet fait qu'une explication tentante se présente immédiatement : l'irraisonné ne semble pas pouvoir être pensé en termes de choix libre et réfléchi, il obéirait à des « mécanismes préréflexifs où s'exprimeraient des logiques dissimulées aux acteurs »(conditionnements inconscients, orchestration souterraine par les impératifs de la consommation, puissance de la publicité, lois de rivalité sociale entre groupes concurrents). La société dominerait en fait l'individu : il y aurait une  « logique immanente des phénomènes socioculturels » qui s'imposerait aux acteurs sans qu'ils en soient conscients.
Lipovetsky va au contraire à rebours de ce type d'interprétation et pose la question : « comment comprendre que la mode ait été, de facto, un phénomène spécifiquement occidental et moderne, inexistant avant le milieu du XIV° siècle? ». En effet,  « la forme mode relève d'un type très particulier de société et de culture – et comment dès lors continuer à y voir un simple effet des rapports de concurrence entre les groupes sociaux, puisque de tels rapports ont bien évidemment exister avant (…) et en dehors de l'Occident, sans susciter des phénomènes de mode? »

2. L'intellectuel dans les sociétés démocratiques

  1. La fondation philosophique de l’individualisme : l’époque des monadologies

    1. Le modèle monadologique

Pour Leibniz, seules existent des monades, i. e. des réalités individuelles ou individuées indépendantes les unes des autres, et ces réalités « n’ont point de fenêtres par lesquelles quelque chose y puisse entrer ou sortir. » Quelle va être la conséquence de cette conception pour le destin de l'idée de subjectivité?

Heidegger fait cette lecture. L'idée de subjectivité se trouverait inscrite dans l'attribution de la monade : elle serait capable de produire d'elle-même tout ce qui lui survient étant donné qu'elle reste close sur elle-même. « il serait donc tentant d'identifier cette constante autoproduction de soi à une dimension d'autonomie et de diagnostiquer, dans la monadologie leibnizienne, l'extension à toute réalité de ce qui chez Descartes par exemple, définissait la subjectivité du Moi humain ».

Cette lecture est cependant inexacte pour Alain Renaut. Le principal argument consiste dans l'ordre qui régit les relations intermonadiques, lequel n'est pas auto-institué par les monades, mais résulte de l'harmonie préétablie par Dieu. « En ce sens, la liberté leibnizienne (…) n'est donc nullement autonomie, soumission à une loi que l'on s'est soi-même donnée : elle est bien plutôt l'accomplissement par chaque monade de la loi constitutive de son être, auto-déploiement de sa déterminité propre et non pas auto-détermination ». En revanche Leibniz défend l'idée de liberté comme indépendance : « nous sommes inscrits dans une parfaite indépendance, à l'égard de toutes les autres créatures », au point que « notre individu » est « comme un monde à part, suffisant à lui-même » et ne se réglant que « par sa propre nature ». Voilà qui « signe l'acte de naissance philosophique de l'individualisme » : « c'est à travers le repli sur soi et le fait de ne se soucier que de soi-même, par la culture de son indépendance et la soumission de la loi de sa nature, que l'individu contribue à manifester l'harmonie de l'univers ».


« Ici la modernité bascule : pour la première fois, la contradiction n'est plus insurmontable entre le souci exclusif de soi et l'affirmation de la rationalité du réel, puisque cette rationalité préétablie s'exprime à travers la programmation de chaque « individu » à accomplir sa « nature ». Invention géniale : celle d'un dispositif intellectuel inédit, perfectionné ensuite par la « ruse de la raison » hégélienne, qui fait émerger les valeurs de l'individualisme en les rendant compatibles avec l'idée d'un ordre rationnel du monde ».



CONCLUSION

L'auteur termine par 3 remarques concernant l'idée du sujet « comme visée ou comme horizon de l'individu ».

1.« Comment penser le sujet aujourd'hui, une fois dissipées les illusions suscitées aussi bien par sa construction que sa déconstruction? », voilà la question qui devrait structurer la réflexion philosophique. En effet, « l'exigence humaniste d'autonomie (…) garde en fait toute sa signification, certes contre les despotismes (…), mais aussi face aux dérives individualistes de nos sociétés démocratiques ». Il devient en effet nécessaire de trouver un moyen de limiter le culte de l'indépendance, or cette limite ne peut plus se déterminer que sous le mode de l'autonomie. Il faudrait alors que l'individualité s'élève à la subjectivité. « L'idée de sujet, précisément en tant qu'elle ne se réduit pas à celle de l'individu, mais implique au contraire une transcendance, un dépassement de l'individualité, comprend en elle l'intersubjectivité, donc la communication autour d'une sphère commune de principes et de valeurs ».

2.

 


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